La parfumerie naturelle, késako ?

Parmi les parfums de niche (ou alternatifs), la parfumerie naturelle fait son trou. Attention, en se privant des molécules synthétiques, les nez ne disposent plus que de 300 molécules seulement contre 3000 en parfumerie conventionnelle. Alors pour sortir un truc qui dépotte et n'ait pas des relents de vieux lavandin, faut avoir l'oeil et du nez.
Ce sont généralement des passionnés qui choisissent la voie la plus étroite de "la parfumerie d'auteur" comme dit joliment Patricia de Nicolaï.

Honoré des Prés, le parfum bio à la française
source : Honoré des Prés
Au risque de décevoir Sophie qui dit que je teste tout, je n'ai pu tester beaucoup de parfums naturels. Je me jetterai chez Jovoy ou Sens Unique (deux parfumeries spécialisées) lors de mon prochain passage à Paris ; mais sur ce sujet précis, ma culture olfactive se limite présentement à l'Artisan Parfumeur (qui a crée 2 parfums 100% naturels). Et puis le parfum est un univers à part entière. Entre chimie et histoire de la parfumerie, il y a de quoi se noyer. J'avoue avoir passé des heures écumer les sites spécialisés et appris une tonne de choses. Malheureusement, sans la connaissance réelle des parfums (c'est-à-dire sans pouvoir les sentir), beaucoup de choses restent abstraites. Est-ce que ça tient ? est-ce que ça sent le lavandin ? Ca évolue comment ?

Comme j'ai pensé que vous aimeriez avoir un avis plus éclairé sur la parfumerie naturelle, j'ai fait appel à un connaisseur, Michaël Sanson. Adepte du bio, pour lui, naturel ne doit pas rimer avec moche. Partant du principe que le luxe a un prix mais que si on doit s'empoisonner ou pourrir la planète, le prix devient trop élevé, il a créé un concept store en ligne, Ecocentric et propose des produits qui ne font pas honte à notre salle de bain. Tout est pensé : le packaging, les odeurs, les matières, pour être beau et bon.
source : Ecocentric
Je ne vais pas vous mentir : vaut mieux éviter le site en fin de mois. Mais quand on voit le prix d'un cosmétique Chanel ou Lancôme, tout devient relatif.
J'ai croisé Michaël Sanson une fois, je l'ai trouvé très engagé sans être non plus un ayatollah et Ecocentric distribuant plusieurs créateurs de parfums naturels (dont le fameux Love les Carottes), j'ai tout de suite pensé à lui. Michaël s'est très gentiment plié à ma petite interview. Je lui ai posé les questions qui me venaient à l'esprit en tant que consommatrice :

- Pour vous, qui êtes un connaisseur, sentez-vous tout de suite une différence entre les parfums naturels et les parfums conventionnels ?

Il n’est pas évident de répondre à cette question tant le monde de la parfumerie est divers. Les parfums conventionnels bon marchés, parfois composés à plus de 90% de substances chimiques, ont souvent une identité olfactive qui ne trompe pas. De la même façon les parfums naturels les plus basiques* à l’identification olfactive immédiate sont reconnaissables. *eau de violette, eau de rose, etc
La différenciation est moins évidente pour les parfums de créateurs et c’est la preuve que la parfumerie bio est aujourd’hui en mesure de rivaliser avec les plus grandes maisons. Il existe cependant des indices pour les nez les plus affutés : la nature n'a pas encore livré le secret de tous ses parfums et il est par exemple toujours impossible d'extraire le principe olfactif du muguet ou de la figue. On ne peut donc pas retrouver ces notes dans les parfums naturels alors que la chimie a su les copier.

- Y a-t-il une différence de tenue des parfums naturels ? Tournent-ils plus vite (ou moins) que les parfums conventionnels ?

Dépourvus de fixateurs chimiques, les parfums naturels ont longtemps été plus volatils que les parfums conventionnels. En effet l'odeur du parfum provient de la volatilité de ses molécules mais pour que toute l'odeur ne se dissipe pas trop rapidement il faut que les molécules odorantes soient associées à des molécules plus lourdes et non volatiles qui les retiennent. Il a fallu donc retrouver dans la nature les molécules à même de recréer le sillage persistant d'un parfum : elles s’appellent benjoin, fève tonka, vanille…

- Leur composition entièrement naturelle leur offre-t-elle une plus grande capacité à évoluer différemment selon les peaux ?

Tous les parfums, naturels et conventionnels, évoluent de façon très différente sur la peau. Pour moi la plus grande différence vient du fait que l’on peut se vaporiser un parfum naturel sur la peau sans risque alors qu’avec un parfum conventionnel on expose son corps à des molécules peu recommandables comme les phtalates, les muscs synthétiques ou autres éthoxylates d’alkylphénol. Irritants pour la peau, polluants, certains sont même suspectés de perturber le système hormonal, d’être cancérigènes ou neurotoxiques*. Pour un moindre mal, je conseille donc de ne parfumer que l’extérieur des vêtements. Le parfum sera automatiquement moins susceptible d’évoluer avec la peau… (*parmi les 3000 molécules synthétiques, plus de 850 seraient cancérigènes)

- Est-ce que ces nouveaux parfums plaisent ? Quels sont les retours ?

Si les consommateurs sont aujourd’hui conscients des risques liés à l’alimentation industrielle et de plus en plus de ceux liés à la cosmétique conventionnelle, ils sont moins sensibilisés aux risques liés aux molécules utilisées dans l’industrie du parfum ou du prêt-à-porter qui sont pourtant en contact direct avec la peau. Faut-il rappeler que des études récentes ont montré que la peau d'une femme est en moyenne exposée à plus de 250 substances chimiques chaque jour et qu’environ 60 à 80% passent à travers le derme ?
Le succès des parfums bio, comme Honoré des Prés par exemple, est donc bien lié à la qualité de leurs créations et aucunement à un rejet de la parfumerie conventionnelle. Il y a de très nombreux addicts à des parfums bio, moi le premier !

- Y a-t-il un vrai marché ? Risquent-ils d'avoir un développement semblable aux cosmétiques naturels, avec des dizaines de marques présentes (et à boire et à manger) ou nécessitent-ils un tel savoir-faire qu'ils resteront forcément des parfums de niches ?

Conceptuellement le marché potentiel de la parfumerie bio est le marché de la parfumerie dans son ensemble. Mais quand on y regarde de plus ce n’est pas tout à fait vrai : les matières naturelles sont plus rares et plus chères que leurs ersatz chimiques, elles sont plus complexes à travailler : il est quasiment impossible d’avoir une matière naturelle toujours identique, à l’image des vins millésimés qui n’ont pas les mêmes caractéristiques d’une année sur l’autre en fonction des conditions climatiques, la palette de senteurs disponibles est plus limitée que dans la chimie... les contraintes liées aux matières premières font de la parfumerie biologique un art et un luxe ; il est difficile d’imaginer l’explosion du nombre d’acteurs sur ce marché.

- Le projet de loi visant à interdire certains ingrédients naturels* risque-t-il de freiner leur développement ?

J’avoue être dépassé par ces questions : il a fallu des années et une foule d’avis d’experts unanimes pour qu’enfin le bisphénol A soit interdit dans les biberons et alors qu’il reste des dizaines de molécules toxiques on travaille à un projet de loi interdisant certains ingrédients naturels. Ça me semble d’une urgence moindre, sauf dans le cadre de la sauvegarde de la biodiversité. L’impact sur la parfumerie naturelle dépendra des ingrédients touchés par des restrictions, il est donc encore trop tôt pour le dire.

* l'UE souhaite interdire plusieurs composants naturels, dont des mousses d'arbres que l'on retrouvent dans Féminité du Bois, Miss Dior ou Chanel n°5.

Jo Wood, le parfum bio à l'anglaise
source : Jo Wood Organics
PETIT LEXIQUE : 
On appelle extraction le processus qui permet de transformer en essence une matière première. Les principales formes traditionnelles d’extraction :
  • L’expression : pratiquée uniquement avec les agrumes, elle permet par simple pression d’extraire l’essence contenue dans l’écorce des fruits. L’opération est aujourd’hui accomplie grâce à des centrifugeuses.
  • La distillation à la vapeur d’eau : la matière première récoltée est disposée dans un alambic, avec de l’eau qu’on porte à ébullition. La vapeur d’eau transporte l’essence dans un condensateur, puis dans un séparateur.
  • La rectification : les essences obtenues par distillation sont parfois purifiées par rectification sous vide, procédé à basse température plus respectueuse des matières fragiles.
  • L’enfleurage à chaud : utilisé avec des pétales de fleurs pas trop fragiles (rose, narcisse), il consiste à les plonger dans un bain de graisse animale que l’on fait chauffer à plusieurs reprises. Lorsque les fleurs ont donné toute leur essence, elles sont jetées et remplacées par d’autres, jusqu’à obtention d’une graisse suffisamment saturée. La graisse est ensuite lavée avec de l’alcool, jusqu’à obtention de l’essence dite absolue.
  • L’enfleurage à froid : utilisé lorsque les fleurs sont trop fragiles (jasmin, tubéreuse). Le principe est le même que pour l’enfleurage à chaud, mais les pétales sont disposés sur des tiroirs remplis de graisse froide. L’enfleurage n’est plus pratiqué aujourd’hui de cette façon.
  • L’extraction par solvants : se fait à l’aide de solvants volatils (éther de pétrole, hexane, benzène, ce dernier n’étant plus utilisé aujourd’hui) suivi en général par une extraction à l’éthanol.
  • La macération : pratiquée pour obtenir les essences animales, elle consiste à laisser macérer la matière première dans de l’alcool.

stelda

24 commentaires:

  1. Trop forte Stelda. Tu as réussi à rendre ces parfums hautement désirables sans les tester !!
    Michael Sanson semble maîtriser parfaitement son sujet et donne envie de se poser les bonnes questions.
    Pour ma part, je suis fidèle à Coco de Chanel (l'original) et tous les parfums sortis depuis une dizaine d'années me déplaisent justement parce qu'ils sentent le "chimique" à plein nez, même le dernier Guerlain. Je mets quand même une mention "bien" à Hermès.
    Super post, je file voir le site, même si je n'oserai pas commander juste avec le nom genre "les c-rottes"

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Sophie :D. Oui, je devrais être payée pour ça ^^. J'ai lu un paquet d'articles pour comprendre un peu la chose et ça m'a passionnée, j'avoue. Mais en lisant les descriptions de parfums, je ne rêvais que d'une chose : les tester tous. C'était très très frustrant.
      Je n'ai pas non plus trop aimé les derniers parfums de Guerlain, pourtant Dieu sait si j'aime cette marque. Hermès mérite la mention très bien, mais ils sont un peu à part... et ils ont un maître parfumeur fabuleux.
      Quant à Honoré des Prés, elle a aussi créé des parfums aux noms beaucoup plus glamours : Sexy Angélic, par exemple ;-).

      Supprimer
  2. Je suis d'accord, sur un gros point, les produits que l'on se met sur la peau sont loin d'être bon pour notre santé, nous devons donc faire attention aux produits que l'on choisit.
    En parfum, je prends souvent des parfums venant de Grasse.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je savais qu'on déconseille de parfumer la peau mais quand j'ai lu les études sur un site de concepteur de lessive et adoucissant, (oui, j'ai recoupé mes sources, héhéhé) j'ai halluciné!!

      Supprimer
    2. Depuis quelques années que j'ai découvert l'envers des produits cosmétiques chimiques, je ne mets plus que le parfum sur les vêtements...
      Et je n'achète plus que des lessives bios, naturels, même si c'est beaucoup plus cher

      Supprimer
  3. c'est là que je me dis que je suis une grosse inculte quand-même ! merci pour ces explications, je découvre vraiment !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci à toi, Amélie! Il y a tant de nouvelles choses qu'on ne peut pas tout suivre ;-). C'est l'intérêt des blogs : les copine chassent pour vous :)).

      Supprimer
  4. Passionnant ! Je possède donc plusieurs dizaines de flacons de poisons divers (mais pas le parfum du même nom !!) sur mon étagère à parfum (le dessus de la cheminée de ma chambre en fait !), mais je suis incapable de m'en séparer.... Je ne connais pas les parfums bio, il faut aller voir ça de plus près ! Mais franchement, Javoy, c'est un autre glamour, non?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. On sent que Michaël maîtrise son sujet. C'était un vrai bonheur de le lire, j'ai eu les réponses à toutes mes interrogations de néophytes ;-).
      Tu as plusieurs dizaines de flacons ?? OMG!!

      Supprimer
    2. Honte à moi !
      En plus je reçois leur newsletter depuis très longtemps et je n'ai jamais traîné sur ce site. J'ai honte encore de n'être attirée que par des noms que je connais. C'est pas bien !

      Supprimer
    3. Je viens de tester avec une première commande : impec! Tu peux y aller les yeux fermés ;-). Mais c'est vrai, moi aussi j'hésite toujours à tester des produits que je ne connais pas. On a toujours peur d'être déçu.

      Supprimer
  5. Ton lexique me rappelle ma visite chez Fragonard à Grasse !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je crois qu'il y a aussi de nouvelles techniques pour "capturer" l'odeur des fleurs sans les cueillir mais ensuite, j'imagine qu'on doit la reconstituer chimiquement...
      La visite devait être passionnante!

      Supprimer
  6. Je suis très curieuse de sentir un de ces parfums naturels moi qui trouve que les produits de beauté bio sentent effectivement trop le vieux lavandin :-) Super article Stelda !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci <3 J'ai un peu craqué (oui, c'est mal!!!) et fais un achat sur Ecocentric. Comme il offre 3 échantillons par commande, j'ai fait une razzia sur les parfums. Je te dis ce que ça sent dès que j'ai testé ;-)

      Supprimer
  7. Bé je découvre quelque chose une fois de plus : je croyais naïvement que toutes les molécules utilisées étaient naturelles moi ^^'
    Ton article était super intéressant ! Ya plus qu'à savoir si ça sent bon maintenant ^^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Pipou. J'ai appris plein de choses aussi. Je savais qu'il y en avait beaucoup de synthétique mais je ne pensais pas que ça allait jusqu'à 90 %.
      Wait and see, comme dit l'autre ;-)

      Supprimer
  8. Hello Stelda,
    Je ne connaissais pas encore les marques qui ne faisaient que des parfums naturels, je vais m'y intéresser de plus près. Par contre je suis tellement fidèle à mon parfum, que j'aurais du mal à en changer ;-)
    Bisous <3

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi aussi : c'est le problème. Pourtant, j'aimerai vraiment changer un peu mais je n'ai pas encore trouvé. Mais quand on voit que j'hésite 17 mn entre 2 dentifrices Colgate, ce n'est pas étonnant que je n'arrive pas à choisir parmi les centaines de références en parfumerie :D Bisous!

      Supprimer
  9. Encore une fois, tu rejoins une de mes problématiques du moment (tu vis dans ma tête ou bien ?) : trouver un parfum naturel avec du caractère et de la tenue ! Mission impossible, a priori...

    En fait, depuis mes grossesses, je vis très mal les parfums de synthèse... mais en magasin bio, les parfums sont très convenus, et à peu près aussi persistants qu'une eau de cologne. Je ne savais même pas qu'il existait une niche du parfum naturel de caractère, tu m'en vois ravi ! J'essaierais de passer dans les boutiques indiquées à Paris lors de mon prochain séjour...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je te jure que non, je n'ai pas l'intention de squater ton cerveau :D. Mais si j'ai pu t'apporter une piste, j'en suis bien contente. J'espère que tu trouveras ton bonheur ;-)

      Supprimer
  10. J'ai étudié un peu les parfums (et les matières premières en cosmétologie) avec ma prof qui était assistante d'un grand parfumeur... C'est passionnant mais vraiment difficile : des années d'entraînement à sentir les parfums pour deviner ce qu'il y a à l'intérieur, etc. Par contre, elle pense (et je suis d'accord avec elle !) que les grandes marques sortent des parfums à la va-vite, marketing oblige. Toutefois, c'est assez incroyable tout le cheminement derrière !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est ce que disait aussi Patricia de Nicolaï : un parfum par an, c'est déjà beaucoup. Le parfum peut être un sacré jackpot : JPG n'arrive à survivre que grâce à ses parfums qui cartonnent. Il parait que les nez développent certaines zones du cerveau, avec l'expérience. Incroyable, non ?

      Supprimer
  11. J'en ai appris des choses. Utiliser des éléments naturels comme fixateur permettent une utilisation pure des parfums !

    RépondreSupprimer

Des difficultés pour laisser un commentaire ? Passez sous Safari ou Firefox